La « kiswa » et le « mahmal » du Grand Baïram

Jeudi 23 Juillet 2020-00:00:00
' Père Gérard Viaud

Au cours de la période qui précédait le grand pèlerinage de la Mecque la ville du Caire connaissait de grandes activités avec le tissage de la « kiswa », la préparation du « mahmal » et les différentes processions qui précédaient le départ de la caravane pour la Mecque.

Jusqu’en 1962, l’Egypte confectionnait la « kiswa », cette housse sacrée destinée à recouvrir la Kaaba de la Mecque où elle était transportée par la caravane du grand pèlerinage et précédée du « mahmal », ce signe de l’autorité et de la protection du souverain d’Egypte.

A l’époque mamelouke, les sultans du Caire avaient à coeur d’entretenir de bonnes relations avec les villes saintes d’Arabie où, chaque année, ils envoyaient des subsides en argent ou en nature et faisaient parvenir la kiswa pour recouvrir la Kaaba de la Mecque.

Cette kiswa était une immense tenture de près de 15 mètres de haut et de 10 mètres de large, pour chacun des quatre côtés de la Kaaba, qui était tissée et brodée au Caire par des ouvriers spécialistes qui s’établissaient à cette occasion dans un atelier aménagé à la Citadelle du Caire pendant le mois de chaoual. Un immense podium recouvert de toiles de tentes était alors installé dans une des cours de la forteresse et les ouvriers considéraient ce travail comme un geste religieux et sacré. Ils maniaient l’aiguille, avec les fils d’or et d’argent, suivant le dessin du calligraphe qui avait tracé sur l’étoffe noire les paroles révélées.

Ce travail prenait beaucoup de temps. La kiswa, une fois achevée, était exposée dans une mosquée, généralement celle d’El-Azhar, où les fidèles venaient l’admirer. Placés sur des perches de bois, et savamment pliés, les quatre pans de la kiswa étaient processionnés dans les rues du Caire avant son départ pour la Mecque.

Cette procession de la kiswa et du mahmal était un grand jour de fête à travers les rues de la ville. La procession partait de Bab El-Nasr (la porte de la victoire) et se rendait à la Citadelle pour descendre ensuite sur Fostat (le Vieux-Caire) et ainsi elle traversait toute la ville du Caire depuis le nord jusqu’au sud. Le retour se faisait par un autre itinéraire empruntant la rue Moëz Lidine Illah et la kiswa et le mahmal étaient déposés dans la grande cour de la mosquée d’El-Hakim près de Bab El-Foutouh (la porte des conquêtes). Par la suite, au XIXème siècle, ce fut à la mosquée d’El-Hussein qu’ils furent déposés dans l’attente du départ de la caravane pour la Mecque.

A cette procession se joignaient des groupes de musiciens, les derviches, les différentes confréries avec leurs bannières et leurs oriflammes, des joueurs de tambourins et des danseurs improvisés. C’était la grande fête et les rues de la ville étaient enguirlandées et illuminées. A une certaine période, des soldats accompagnaient le cortège et ils étaient habillés d’une manière burlesque. La foule les appelait « les diables du mahmal », mais ils se livraient à des excès tels qu’ils furent supprimés.

Cette procession conserva tout son faste jusqu’au XXème siècle et elle disparut en 1963 à la suite du rejet de la kiswa égyptienne par l’Arabie Saoudite l’année précédente.

Au XIXème siècle, lorsque Mohamed Ali abandonna la Citadelle pour venir habiter les palais de l’Ezbékieh ou de Choubra, l’atelier de la kiswa fut installé dans le quartier de Khoronfish où elle fut tissée et brodée jusqu’en 1962. Cet atelier existe toujours avec la grande pancarte indiquant : « Dar El-Kiswa ».

Le jour du départ de la caravane pour la Mecque, tout le monde se rassemblait devant la Bab El-Nasr où le cortège s’organisait pour se rendre au birket El-Hagg, première étape avant la marche à travers le désert. Par la suite, avec l’installation de la ligne de chemin de fer entre le Caire et Suez, une manifestation se déroulait sur la grande place située au pied de la Citadelle et une procession était organisée jusqu’à la gare d’Abbasseïa où le mahmal et la kiswa étaient embarqués dans un train spécial.

Le cortège était toujours précédé par l’émir El-Hagg (le prince du pèlerinage) qui était toujours choisi par le souverain parmi les grands personnages ou les ministres. A la suite de la Révolution égyptienne de 1952, l’émir El-Hagg fut remplacé par le président de la mission du pèlerinage. Ce changement se fit en date du 18 juin 1954.